7 novembre 2016

Droits de l’Homme et climat : « Le monde ne peut pas attendre »

Les changements climatiques, « sujet de préoccupation pour l’humanité »

Du fait des changements climatiques, « des pans entiers de l’humanité souffrent au quotidien et s’interrogent sur leur devenir ». Ces propos tenus lors de l’ouverture de la COP 22 (7-18 novembre, Marrakech) par Salaheddine Mezouar, ministre des affaires étrangères du Maroc et président la COP 22 rappellent l’importance de renforcer et d’accélérer l’action climatique. Pour être durable, cette action doit pleinement prendre en compte les populations, leurs besoins réels et leurs droits. C’est pourquoi la première recommandation de Caritas Internationalis adressée aux négociateurs porte sur les droits de l’Homme [1]. Il s’agit maintenant de donner corps au passage de l’Accord de Paris où les États se disent conscients « que les changements climatiques sont un sujet de préoccupation pour l’humanité toute entière et que, lorsqu’elles prennent des mesures face à ces changements, les Parties devraient respecter, promouvoir et prendre en considération leurs obligations respectives concernant les droits de l’homme » (Préambule).

Caritas Internationalis participe d’un mouvement plus large qui, débordant heureusement le cadre des seules négociations internationales, œuvre à la prise en compte des droits de l’Homme dans la lutte contre le dérèglement climatique [2]. Ce mouvement a plusieurs dimensions : citoyenne, principalement représentée par les diverses organisations de la société civile et les citoyens mobilisés sur le sujet ; institutionnelle, notamment avec le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme ; politique, par exemple lorsque la France indique que l’action climatique pour la sécurité alimentaire doit « intégrer le respect des droits fonciers, notamment par la mise en oeuvre des directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers » [3] ; académique, comme l’illustrent les douze propositions juridiques pour la Conférence de Paris sur le climat intitulé « Le dérèglement climatique : un défi pour l’humanité ».

Parmi d’autres, trois positions concordantes pour la COP22

  1. Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme persiste : les changements climatiques sont une grave menace à la jouissance de nos droits !

Il y a quelques jours, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme (HCDH) a publié un communiqué de presse. Il appelle les États parties à rehausser leurs ambitions climatiques, sur les questions de finance comme de coopération internationale. Il rappelle aussi que ce sont les personnes les vulnérables qui sont les plus affectées : les femmes et le enfants d’abord, mais aussi les personnes handicapées [4]… Pointant la responsabilité particulière des grandes entreprises, il évoque également le rôle de chaque consommateur et de chaque citoyen. Zeid Ra’ad Al Hussein, l’actuel Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, insiste en outre sur l’urgence du problème : les États parties devraient impérativement accélérer leur action, en accord avec leurs obligations en matière de droit international. Et de conclure : « Le monde ne peut pas attendre ».

En 2009 déjà, le Haut-Commissaire aux droits de l’homme déclarait : « Le changement climatique est l’un des défis les plus graves auxquels l’humanité a jamais été confrontée et il a des implications importantes pour la réalisation des droits de l’homme… Une analyse fondée sur les droits de l’homme fait comprendre combien la vie des individus et des communautés en est affectée et pourquoi les politiques et mesures de lutte contre les changements climatiques doivent incorporer des garde-fous pour la protection des droits humains. » Cette approche par les droits du problème climatique progressera-telle lors de la COP 22 ?

  1. La société civile réitère : il faut intégrer les droits de l’Homme dans et pour la lutte contre les changements climatiques !

Le groupe de travail de la société civile « Droits humains et changements climatiques » s’y évertue en tout cas. Il est possible de résumer sa position pour la COP22 à un constat et à un ensemble de recommandations claires [5]. Le constat d’abord : « L’Accord de Paris représente un tournant dans l’intégration des droits de l’Homme et des politiques environnementales, étant donné que c’est le premier accord international relatif à l’environnement qui définit explicitement le respect des droits de l’homme étant un principe transversal dans la lutte contre le changement climatique. Toutefois, l’accord n’indique pas comment l’intégration devrait être encouragée. » Il en découle que « les décisions adoptées à la COP22 à Marrakech devraient assurer que les obligations relatives aux droits de l’homme soient effectivement reflétées afin de promouvoir leur incorporation dans la mise en œuvre de l’Accord de Paris. » Aussi, un travail d’identification « des portes d’entrée particulières pour incorporer et considérer les droits de l’homme dans les négociations prévues durant la COP22 » a-t-il été réalisé. En voici les quatre principales :

* Les États parties devraient incorporer les droits de l’homme dans des modalités, procédures et lignes directrices discutées dans l’APA [Groupe de travail spécial de l’Accord de Paris [6]] afin d’assurer que la mise en œuvre de l’Accord de Paris prenne effectivement en considération les obligations relatives aux droits de l’homme respectives des États parties.

* Les États parties devraient créer un environnement propice pour aider les gouvernements à intégrer les droits de l’homme dans la lutte contre le changement climatique en renforçant les capacités et les autres opportunités de coopération.

* Une attention particulière est nécessaire pour adresser les droits des groupes particulièrement identifiés dans l’Accord de Partis, incluant les femmes, les peuples autochtones et les enfants.

* La responsabilité de tous les acteurs, y compris les entreprises privées qui fonctionnent grâce aux mécanismes et plateformes établis selon la CCNUCC, doit être encouragée.

  1. Et au-delà de la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques ?

La question est loin de ne se cantonner qu’à la CCNUCC. Sébastien Duyck et Yves Lador, juristes spécialistes des négociations internationales, membres actifs de la société civile, nous en offrent une précieuse mise en perspective [7], au-delà de la Conférence climat de Marrakech… En plus de cette dernière [8], leurs recommandations ciblent en particulier deux instances internationales :

* Le Conseil des droits de l’Homme d’abord. Cet organe intergouvernemental du système des Nations Unies devrait poursuivre ses efforts dans le domaine des changements climatiques et porter une attention particulière à l’Accord de Paris. De plus, ses liens avec la CCNUCC devraient être renforcés. Par ailleurs, tout État devrait incorporer les changements climatiques dans son Examen Périodique Universel [9]. En outre, les travaux des Procédures spéciales [10] portant sur les changements climatiques seraient à renforcer et une Procédure spéciale spécifiquement mandatée sur le sujet à créer [11].

* Le G20 ensuite. En juillet 2017, le prochain Sommet du G20 pourrait intégrer les droits de l’Homme dans son travail relatif aux changements climatiques. A minima, le G20 devrait au moins considérer de manière systématique les liens entre ceux-ci et les thèmes prévus à son agenda [12].

 

Ces pistes sont cohérentes et convaincantes. Elles prolongent un long chemin dont nous ne sommes pas prêts de voir le bout… Mais, à terme, il s’agira bien de faire le lien entre chacun des Objectifs de développement durable – les 17 ODD adoptés l’année dernière par les Nations Unies, dont le 13e porte sur les changements climatiques – et les obligations de chaque État relatives aux droits fondamentaux [13].

Jean Vettraino

Notes

[1] Caritas Internationalis, « Expediting the Implementation of UN Climate Agreements. A Renewed Focus on the Most Vulnerable », novembre 2016, p.6 : « To address human rights and continue doing so beyond COP22, providing guidance to Parties in order to foster respect, promotion and protection of human rights in their national climate policies, especially their NDCs. »

[2] Ainsi, la présentation qu’en donne le Ministère des affaires étrangères français sur son site est-elle beaucoup trop limitée. Notons que la page Internet, consultée le 6 novembre 2016, n’a pas été mise à jour depuis décembre 2015.

[3] Groupe interministériel sur la sécurité alimentaire (GISA), Face au changement climatique, l’agriculture au profit de la sécurité alimentaire , octobre 2016, § 9.

[4] Cet aspect du problème avait été discuté quelques mois plutôt à Genève. Cf. le Discussion Paper. The rights of those disproportionately impacted by climate change, 30 septembre 2016. Notons que ce qui est vrai pour le climat l’est pour l’environnement plus généralement. Les rapports les plus autorisés le démontrent. Par exemple, celui de l’UNICEF paru en octobre 2016 (Clear the air for children) qui établit que près de 300 millions d’enfants respirent un air dont la toxicité excède très largement les normes internationales et que les enfants en situation de pauvreté sont de loin les plus exposés à ce fléau.

[5] Retrouvez sur le site <climaterights.org>, la note d’information complète (en anglais, la traduction française est en cours) détaillant ces différents aspects.

[6] À sa 21e session, la Conférence des Parties (COP) a adopté la décision 1/CP.21 intitulée « Adoption de l’Accord de Paris », qui contient le programme de travail pour rendre effectif l’Accord de Paris, ainsi que des dispositions visant à renforcer les mesures d’atténuation et d’adaptation avant 2020. Pour faire avancer certains éléments de ce programme de travail, la COP a créé le Groupe de travail spécial de l’Accord de Paris (APA : Ad Hoc Paris Agreement Working Group) où toutes les Parties sont représentées.

[7] Sébastien Duyck et Yves Lador, Human Rights into Climate Actions After Paris: Opportunities for the UNFCCC, the Human Rights Institutions and the G-20, Friedrich Ebert Stiftung, novembre 2016. Les trois éléments clés cités aux notes 8, 11 et 12 de cet article sont présents en 1re page du rapport.

[8] Leurs principales observations sur la COP 22 rejoignent celles exprimées par le groupe de travail de la société civile « Droits humains et changements climatiques » mentionné ci-dessus : « The Marrakesh Climate Conference (COP-22) must integrate human rights considerations across all relevant issues on the agenda. Firstly, the respect and promotion of these obligations should be included in the modalities of the commitment (Nationally Determined Contributions) and review cycles (transparency framework and periodic global stocktake) to promote holistic implementation of the agreement. Secondly, climate decision-makers should be supported by sharing expertise during events organised in the context of the climate negotiations and by leveraging the role of capacity building actions under the Climate Convention ».

[9] L’Examen Périodique Universel (EPU) consiste à passer en revue les réalisations de l’ensemble des Etats membres de l’ONU dans le domaine des droits de l’homme. Il s’agit d’un processus mené par les Etats, sous les auspices du Conseil des droits de l’homme. Il fournit à chaque Etat l’opportunité de présenter les mesures qu’il a pris pour améliorer la situation des droits de l’homme sur son territoire et remplir ses obligations en la matière.

[10] « Procédures spéciales » est le nom générique des mécanismes onusiens pour s’occuper de la situation particulière d’un pays ou de questions thématiques dans toutes les régions du monde. Les Procédures spéciales sont représentées soit par une personne – un rapporteur, un représentant spécial ou un expert indépendant – soit par un groupe de travail.

[11] « The Human Rights Council (HRC) should continue its efforts on climate change and pay attention to implementation of the Paris Agreement. Joint activities of the HRC with climate change bodies should be consolidated. All states must also incorporate the effects of climate change in the review of the 3rd cycle of the Universal Periodic Review which begins in 2017. UN Special Procedures’ work on climate change must be supported and a Special Procedure mandated to focus on climate change.  »

[12] « The G-20 summit in Hamburg (7-8 juillet 2017) under German presidency offers an opportunity to integrate human rights in climate-related work of the Group. While the G-20 is unlikely to address the promotion of human rights in climate action as a specific working area, it should consider how human rights considerations relate to the various issues already on its agenda ».

[13] Bureau de Plan International auprès des Nations Unies à Genève, Faire le lien : les ODD et les obligations de droits de l’Homme. Manuel de référence pour renforcer la redevabilité aux ODD à travers du système international des droits de l’homme, novembre 2016.

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