26 octobre 2015

L’usage des terres dans les négociations internationales sur le climat

QUELQUES PRINCIPES1

Une évidence peine à être partagée au sein de la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) : l’usage des terres (« land use », en anglais) est essentiel dans la lutte contre les changements climatiques comme dans l’amélioration de la sécurité alimentaire.

Toutefois, utiliser les terres à des fins d’atténuation des gaz à effet de serre (GES)2 peut mener à des compétitions pour les terres ainsi qu’à des conflits d’usages. Ces derniers tendent à nuire à la sécurité alimentaire, aux droits de l’homme (à commencer par les droits fonciers des populations locales) ainsi qu’aux écosystèmes. La COP21 doit donc reconnaître l’importance et la spécificité de l’usage des terres, tout en s’assurant que les dimensions sociales et environnementales qui s’y rattachent soient pleinement considérées. Des principes, clairs et transparents, pourraient permettre de s’en assurer. Retenons-en quatre, sans souci d’exhaustivité. 

1. L’usage terre est essentiel à la sécurité alimentaire

L’éradication de la faim et de la pauvreté reste une priorité dans de nombreux pays. Le dernier rapport du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (Giec) a souligné que l’ensemble des dimensions de la sécurité alimentaire était menacé. La terre doit donc prioritairement servir à nourrir, et à nourrir mieux, les populations, à commencer par celles qui la travaillent (une grande partie des quelque 800 millions de personnes souffrant de la faim aujourd’hui est paysanne). Les politiques d’atténuation qui lui sont liées – comme la production d’agrocarburants par exemple – ne devraient pas venir concurrencer cette fonction proprement vitale.

2. Droits et moyens de subsistance sont liés à l’usage des terres

Toute action climatique relative à l’usage des terres, qu’il s’agisse d’adaptation aux impacts des changements climatiques3 ou d’atténuation, doit répondre aux obligations internationales de respect et de protection des droits fondamentaux, qui incluent le droit des peuples autochtones et des communautés locales à la terre, ainsi qu’à l’usage de leur territoire et de ses ressources. Peuples indigènes, paysannes et paysans modestes sont souvent marginalisés. Le renforcement de leurs droits – notamment fonciers – leur consultation et leur association aux actions climatiques qui se déroulent sur les territoires dont ils dépendent assurera un succès durable à celles-ci. Un des meilleurs moyens de lutter contre la déforestation, par exemple, est souvent de renforcer les droits des communautés et des peuples vivant dans et de la forêt.

3. L’usage des terres et les forêts ne sont pas là pour compenser les émissions de GES des énergies fossiles

La tentation est grande de compenser les émissions de GES des autres secteurs d’activités, sans vraiment chercher à réduire celles-ci, par le stockage du carbone que permet le secteur des terres – d’abord sous forme de matière organique et végétale. Mais un tel résonnement est spécieux tant les enjeux d’atténuation sont forts. Aussi l’atténuation via le secteur des terres ne doit-elle pas être prétexte à freiner les réductions drastiques et urgentes de GES nécessaires dans tous les secteurs d’activités humaines.

4. Les écosystèmes sont incontournables pour atténuer les émissions de GES et maintenir la biodiversité

Qu’il s’agisse d’atténuation ou d’adaptation, il est vital de stopper la déforestation, comme la dégradation des forêts et celle des sols. La protection et la restauration de tous les écosystèmes (comme les tourbières par exemple) l’est tout autant : les émissions de GES en seront réduites d’autant et la biodiversité protégée. De fait, il n’y aura pas de lutte efficace et durable contre les changements climatiques si elle ne s’inscrit pas dans un cadre environnemental plus large. Les politiques d’atténuation relatives au secteur des terres doivent ainsi comporter des bénéfices environnementaux globaux : amélioration de la biodiversité, de la qualité de l’eau, de la fertilité des sols, etc.

Il n’y a plus à tergiverser : de nombreux travaux et projets ont démontré que l’usage des terres et les écosystèmes sont d’une importance cruciale pour répondre aux enjeux du dérèglement climatique et de la faim. Cette réalité doit trouver une traduction politique adéquate au sein de la CCNUCC, et ce dès décembre 2015.

Jean Vettraino, chargé de plaidoyer sur le droit à l’alimentation

1 Cet article est largement inspiré par un document intitulé « Principles for land-use in the Paris climate agreement ». Signé par différentes organisations (dont le Secours Catholique – Caritas France), il a été publié durant les négociations climat de Bonn (19-23 octobre 2015).

2 « Atténuation » dans la suite du texte.

3 « Adaptation » dans la suite du texte.

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