10 décembre 2021

[COP26 DECRYPTAGE] Les règles des marchés carbone de l’Accord de Paris : entre concessions et échappatoires

Il est un peu plus de 20 heures, heure de Glasgow, le samedi 13 novembre, lorsque Alok Sharma, Président de la COP 26 fait retentir le marteau indiquant que les règles de l’Article 6 sont adoptées par l’ensemble des Etats. La salle applaudit. 

Après plus de 5 ans de négociations et deux semaines de travaux à la COP 26, les parties parviennent à s’entendre sur les règles de mise en œuvre de l’article 6, permettant ainsi de terminer le “RuleBook” de l’Accord de Paris. La Présidence britannique avait dès le départ clairement annoncé son intention de voir ce point de l’agenda résolu durant cette COP et la pression pour y parvenir était palpable pendant les 15 jours de négociations. 

C’est chose faite puisque les trois textes spécifiques aux paragraphes  6.2, 6.4 et 6.8 de l’Article 6 de l’Accord de Paris sont donc adoptés et doivent permettre d’instaurer les bases de la mise en œuvre de deux nouveaux marchés carbone de l’Accord de Paris ainsi que le développement d’approches non marchandes.

On pourrait penser qu’un accord trouvé après tant d’années est un signe positif. Mais dans des sujets aussi techniques que les marchés carbone, le diable se cache dans les détails et c’est dans ces derniers que certains n’hésiteront pas à s’engouffrer pour ne pas transformer leurs pratiques. En effet, le compromis trouvé par les Etats est également le fruit de concessions et notamment sur l’intégrité environnementale pourtant au cœur de l’Accord et de cet article en particulier. 

Depuis de nombreuses années, les organisations de la société civile dont le Secours Catholique, demandaient que ces règles des marchés carbone ne vident pas l’Accord de Paris de son sens, à savoir de maintenir les températures en dessous de 2° à 1.5°C tout en apportant des mesures respectueuses des droits humains. Les Parties devaient donc adopter de solides garanties sociales et environnementales pour les activités relevant des marchés internationaux. Ces nouveaux marchés doivent en effet permettre des réductions “réelles, mesurables, vérifiables, permanentes et additionnelles”. 

Pour rappel, l’échange d’unités de réduction d’émissions entre Etats est permis dans le cadre de l’article 6.2 pour permettre d’atteindre les objectifs nationaux.  L’article 6.4 permet quant à lui le développement de projets ayant pour but de réduire des émissions pour générer des crédits carbone. 

En termes de garanties environnementales, il était crucial de s’assurer que ces mécanismes contribuent effectivement à la réduction des émissions globales tout en respectant les droits humains;  Pour ce faire, une méthode robuste de comptabilisation devait donc être décidée. Qu’en est il donc de ces nouvelles règles ? 

 

Quelques avancées pour de nombreux pas de côté 

Concernant le risque de double comptage, sujet central de ces négociations, les règles semblent permettre de l’éviter. C’est un point positif puisque durant de nombreuses années des Etats souhaitaient des exemptions permettant à l’acheteur et au vendeur d’utiliser la même réduction pour leurs CDN respectives. 

Sur d’autres points des négociations, des concessions importantes ont par contre été effectuées. 

Pour être un instrument susceptible de contribuer à des réductions d’émissions, les crédits échangeables dans les nouveaux marchés doivent avoir la plus haute intégrité environnementale et être en nombres limités. Un des sujets de discorde durant toutes ces années de négociation était la question du transfert d’unités du mécanisme de développement propre (MDP) du Protocole de Kyoto après 2020 vers ces nouveaux marchés. 

Selon l’accord trouvé le samedi 13 novembre, les pays peuvent intégrer au sein de leur première CDN les unités de réduction des MDP depuis 2013. L’accord devrait ainsi permettre le transfert d’environ 300 millions de crédits avec une faible additionnalité et une faible qualité environnementale dans les nouveaux marchés. C’est clairement une ligne rouge franchie dont les conséquences devront s’observer sur l’intégrité environnementale. 

 

Secteur des terres : le non dit 

Depuis des années, le Secours Catholique – Caritas France et ses alliés demande l’exclusion du secteur des terres de l’article 6. Développées à large échelle, ces activités sont en effet néfastes aux communautés locales et autochtones qui voient terres et forêts accaparées pour compenser des émissions de pays ou entreprises émetteurs, limitant leurs usages et mettant une pression sur les pratiques locales et la souveraineté alimentaire des communautés. Les dynamiques de compensation au niveau global risquent d’avoir par ailleurs un effet climatique négatif car compenser n’est pas réduire. Le recours à ces pratiques de compensation détourne en effet les décideurs et acteurs des efforts nécessaires en termes de réduction effective des émissions et d’options plus durables, prouvées et moins onéreuses telles que la protection et restauration des puits de carbone (les forêts, les océans, les zones humides etc…). Or l’urgence climatique nous appelle à la réduction effective des émissions et non à la simple compensation dans les pays du sud. 

Pour éviter de tels risques il aurait fallu exclure explicitement le secteur des terres des mécanismes carbone de l’article 6 et promouvoir les approches valorisant le rôle des puits de carbone terrestres et celui des populations qui les protègent par le biais d’une gestion collective et durable. Or avec l’Accord trouvé à Glasgow, le secteur des terres  reste le non-dit de ces négociations : si ce secteur n’est pas mentionné en tant que tel dans les textes, malheureusement l’élimination du CO2 (CO2 removals) reste au cœur des nouveaux mécanismes.

Le Samedi de l’adoption du Pacte de Glasgow, de nombreuses discussions portaient sur les crédits REDD+, crédits issues du mécanisme de réduction des émissions de la déforestation et de la dégradation des terres. Finalement, la décision finale vient exclure ces crédits du passé. Si l’on peut se réjouir que ces crédits dits d’air chaud, car non additionnels, ne soient pas intégrés aux mécanismes de l’article 6, il ne faut pas se réjouir trop tôt et rester vigilant sur l’utilisation des crédits des nouveaux projets REDD+. 

 

Retour vers un jeu à somme nulle ? : 2% d’annulation obligatoire 

L’autre point crucial de ces négociations était de ne pas reproduire le “jeu à somme nulle” pour l’atmosphère des mécanismes du Protocole de Kyoto. En effet, dans le cadre des précédents marchés carbone de Kyoto aucune réduction nette des émissions mondiales ne se produisait à la suite des transferts entre les parties. Lorsqu’une tonne d’émissions de gaz à effet de serre est réduite à un endroit, une tonne d’émission est émise à un autre endroit. Le transfert international permet donc cet échange mais ne permet pas de réduction des émissions. 

Pour dépasser cet équilibre comptable néfaste pour le climat, l’article 6.4 d) de l’Accord de Paris établit que le nouveau mécanisme doit permettre une atténuation globale des émissions mondiales. Cela ne peut avoir lieu que si une partie de la réduction d’émission réalisée n’est utilisée ni par le vendeur ni par l’acheteur et donc si une annulation obligatoire de l’unité de réduction est inscrite. 

Selon l’accord trouvé à la COP 26, l’annulation ne sera obligatoire que pour les activités de l’article 6.4 à hauteur de 2%. Elle sera non obligatoire mais encouragée pour les transactions de l’article 6.2. 

Si l’annulation obligatoire prévue pour le mécanisme de l’article 6.4 permet de sortir du jeu à somme nulle de Kyoto, le seuil accordé de  2%, et seulement donc pour une partie des activités des marchés de l’article 6, n’est pourtant pas suffisant pour permettre une réduction significative des émissions mondiales

 

Les droits humains : question secondaire des négociations

Pendant les premiers jours de négociations la question du respect des droits humains était globalement l’angle mort des négociations , centrées sur les questions techniques de la transition des crédits, du financement de l’adaptation ou encore du taux d’annulation. 

Pourtant si il est bien une conséquence tangible des approches de marchés, ce sont les impacts que ces dernières ont sur les populations où les activités ont lieu. Comme il a été constaté avec le Mécanisme de Développement Propre, les approches de marché peuvent avoir un impact délétère sur les droits humains et les droits des peuples autochtones. De plus, ces mécanismes permettent aux Etats d’utiliser le système de compensation et ainsi de continuer à émettre alors qu’il faut viser des réductions d’émissions ambitieuses et cesser certaines activités destructrices de la biodiversité et responsables du réchauffement climatique.

L’institution d’un mécanisme de plainte indépendant, arraché dans les dernières versions des textes suite à une mobilisation importante de la société civile internationale et des organisations de peuples autochtones est une victoire dont il faudra se saisir. Il devrait permettre aux communautés affectées par des activités des marchés carbone de l’Accord de Paris  d’obtenir réparation. 

Enfin, les textes finaux comportent de nombreuses lacunes : pas de mention des standards internationaux relatifs aux droits humains, pas de référence au droit à la consultation des peuples autochtones. Autant d’éléments pourtant cruciaux pour assurer l’opérationnalisation du respect des droits. Ainsi, si des références aux droits humains apparaissent dans les versions finales des textes, le résultat n’est pas à la hauteur des risques que ces nouveaux marchés vont faire peser sur les communautés locales et les peuples autochtones. 

 

Quelle place pour ces nouveaux marchés dans l’urgence climatique ? 

Comme l’énonce l’Alliance CLARA dont fait partie le Secours Catholique “La science est claire : nous sommes confrontés à un  code rouge pour l’humanité. La COP 26 s’est ouverte sur une rhétorique flamboyante promettant de « maintenir 1,5 en vie ». Mais une fois de plus, cette COP n’a pas su écouter la science et accorder du crédit aux voix des peuples qui résonnent en dehors des salles de négociation de la COP et à celles qui descendent dans la rue pour réclamer la justice climatique.” Ainsi, pour l’alliance CLARA, “ Indépendamment des résultats des négociations de l’article 6, nous croyons fermement que les marchés carbone et la compensation sont des réponses contre-productives.” 

Dans tous les cas, la question de la façon dont les Etats et les entreprises se saisiront de ces nouveaux marchés sera déterminante, même avec des règles établies et partagées ces derniers ne peuvent se substituer à des réductions drastiques des émissions de gaz à effet de serre. La transformation des systèmes énergétiques, alimentaires et de mobilité doit être au cœur des négociations plutôt que des marchés qui n’ont aucun rôle transformateur.  

Repenser nos systèmes, c’est également repenser le rôle du secteur des terres dans l’urgence climatique. Plutôt que de se focaliser exclusivement sur son rôle de puits de carbone, il faut remettre au centre du débat des solutions, les droits et l’apport des populations. Des pistes pour ne pas dépasser les 1,5°c sont encore à ce jour encore peu mises en avant. C’est le cas notamment du renforcement des droits fonciers des peuples autochtones et des communautés locales et de la restauration et protection des écosystèmes. Alors la vraie question qui devrait occuper les négociatrices et négociateurs est la suivante : Quelle place pour l’approche par les droits dans l’urgence climatique ?

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