Revue régionale européenne du Pacte mondial migrations : la protection des migrants à l’épreuve d’un contexte de crises multiples

Alors que se déroule, les 12 et 13 novembre 2020, la première Revue régionale européenne du Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières, le Secours Catholique-Caritas France attire l’attention des décideurs sur un contexte de crises multiples frappant les personnes migrantes, toujours plus vulnérables.
Dans sa dernière encyclique Fratelli Tutti, le Pape François dénonce, à propos des migrants, le fait qu’ “on ne dira jamais qu’ils ne sont pas des êtres humains, mais dans la pratique, par les décisions et la manière de les traiter, on montre qu’ils sont considérés comme des personnes ayant moins de valeur, moins d’importance, dotées de moins d’humanité”. Face à ce constat inacceptable, il rappelle qu’”Il faut respecter le droit de tout être humain de trouver un lieu où il puisse non seulement répondre à ses besoins fondamentaux et à ceux de sa famille, mais aussi se réaliser intégralement comme personne”. Il appelle enfin à ,rappelle t’il, la construction “d’une législation (gouvernance) globale pour les migrations”.
Un contexte de crises multiples et des vulnérabilités exacerbées
Même si le Pacte mondial migrations offre, sur le papier, des points d’appui substantiels sur des enjeux clefs de protection des droits des personnes migrantes, on constate un écart très important entre les engagements au titre du Pacte et la réalité. En effet, les personnes migrantes, de par le monde, se retrouvent aujourd’hui aux prises avec des crises multiples, qui les rendent toujours plus vulnérables.
Tout d’abord, si la crise sanitaire actuelle liée à la COVID-19 touche tout le monde indistinctement, elle pèse lourdement sur les personnes vulnérables que sont les personnes migrantes. Sur la base d’analyses de terrain en France et dans diverses régions du monde, le Secours Catholique-Caritas France souhaite alerter sur le renforcement des vulnérabilités des personnes migrantes.
En plus de la crise elle-même et de ses impacts sanitaires, les politiques mises en place pour répondre à l’épidémie ont exposé les personnes migrantes à d’autres crises. Les vulnérabilités des migrants ont donc été exacerbées par trois crises : une crise de protection, une crise sanitaire et une crise socio-économique.
– D’un point de vue de la protection, les mesures de fermeture des frontières ont rendu les parcours migratoires encore plus dangereux et ont fortement fragilisé l’accès au droit d’asile, à une protection et à des conditions de vie dignes.
– D’un point de vue sanitaire, les personnes migrantes sont particulièrement vulnérables face au coronavirus. Elles sont plus exposées car elles sont en première ligne pour assurer les métiers essentiels à nos sociétés et les conditions d’hébergement de nombreuses personnes ne permettent souvent pas d’appliquer les mesures sanitaires nécessaires à leur protection.
– D’un point de vue socio-économique, les personnes migrantes sont les premières à perdre leur emploi, souvent informel. Elles perdent ainsi leurs revenus et ne bénéficient pas ou peu de mesures de protection sociale. Cela renforce la pauvreté des personnes migrantes et de leurs familles, qui ne peuvent plus recevoir de soutien financier. L’impact économique est majeur car, dans certains pays, les transferts de fonds des migrants à leurs familles représentent des montants très importants, parfois même supérieurs aux montants alloués au titre de l’aide publique au développement.
En parallèle, on assiste également à une crise des politiques qui trop souvent vont à l’encontre des droits et des engagements de protection des personnes migrantes. Ainsi en France, le Secours Catholique-Caritas France constate des violations des droits fondamentaux et un manque d’accès aux services de base pour les personnes migrantes sur tout le territoire, et notamment aux frontières (accès à l’eau, nourriture, hygiène, soins). Le constat est le même pour de nombreuses personnes se trouvant dans des campements et bidonvilles sur le sol français. De plus, le Secours Catholique-Caritas France s’inquiète vivement de mesures restreignant volontairement l’accès aux services de base comme l’interdiction pour certaines associations de faire des distributions alimentaires à Calais. Cette interdiction porte non seulement une atteinte à l’accès aux services de base et au droit de solidarité mais elle bafoue également le principe de fraternité.
Le Secours Catholique s’inquiète aussi des mesures proposées par la Commission Européenne dans le nouveau Pacte européen sur la migration et l’asile : aucune référence n’y est faite au Pacte mondial migrations, les voies sûres et légales de migration sont peu évoquées, tout comme l’accès aux services de base. Dans ce Pacte, l’accent est mis sur un marchandage de la solidarité entre Etats européens, sur les retours et le renforcement de la coopération avec des pays tiers pour empêcher les migrations vers l’Union Européenne.
S’ajoute un autre contexte de crise tout autant impactant pour les personnes migrantes : la crise liée aux effets du changement climatique. Les effets du changement climatique, les désastres et la dégradation environnementale ont en effet une incidence sur les migrations. Nombre de personnes sont contraintes de quitter leur lieu de vie en prévision ou en réponse à un risque environnemental, qu’il soit soudain ou progressif. Les populations affectées se retrouvent alors dépossédées de leurs terres et de leurs moyens de subsistance et très souvent sans moyens financiers suffisants ni informations sur leurs droits et sans chemins sûrs. Pour les personnes forcées de franchir une frontière dans ce contexte, il n’existe pas de réponses juridiques adaptées. Elles ne sont pas intégrées dans les mécanismes de protection existants. Ainsi, elles se déplacent dans des conditions extrêmement difficiles et leurs droits fondamentaux s’en trouvent bafoués.
Les crises liées à la COVID-19 et plus largement ce contexte de crises multiples révèlent comment les personnes les plus vulnérables sont les premières impactées en temps de crises et ont, de ce fait, un besoin spécifique de protection.
Des solutions dans le Pacte mondial migrations mais un manque de mise en œuvre
Le Secours Catholique-Caritas France avait salué l’adoption du Pacte mondial migrations comme un signal fort pour les droits des personnes migrantes, notamment au travers de la réaffirmation des droits des personnes et du besoin de voies sûres et légales de migration. Cependant, alors qu’à la signature du Pacte, la société civile avait encouragé les Etats à utiliser les éléments du Pacte comme une base minimum et non comme un objectif final, ce minimum est aujourd’hui encore loin d’être assuré. Pour répondre au contexte de crises multiples et aux vulnérabilités exacerbées des personnes migrantes, nous appelons à une gouvernance mondiale des migrations qui protège et respecte de manière effective les droits de ces populations.
Les crises liées à la COVID-19 n’ont en effet pas arrêté les migrations mais les ont rendues plus dangereuses et ont renforcé les vulnérabilités des personnes migrantes. La crise sanitaire a même parfois été utilisée par certains Etats pour prendre des mesures bafouant le principe de non-refoulement. Le contexte actuel démontre une fois de plus à quel point il est essentiel que les personnes puissent emprunter des voies sûres et légales de migration leur permettant de se déplacer dans le respect de leurs droits et sans mettre en danger leur santé, ni celle des populations des pays de transit ou d’accueil.
Pour ce faire, l’Objectif 5 du Pacte mondial migrations, clé de voûte pour la mise en œuvre de nombreux Objectifs du Pacte, propose des mesures concrètes pour construire des voies sûres et légales de migration, dans le respect des droits humains, pour toutes les personnes migrantes en tenant compte de leurs besoins en matière de protection, de travail, de vie de famille, etc. Cependant, le développement des voies sûres et légales ne doit pas s’accompagner d’une criminalisation des migrations irrégulières.
Le contexte actuel démontre aussi qu’il est crucial, comme le rappelle l’Objectif 15 du Pacte, que l’accès aux services de base soit garanti pour toutes les personnes migrantes quel que soit leur statut et à toutes les étapes de leur parcours migratoire.
En lien avec l’Objectif 2 du Pacte qui reconnaît les effets du changement climatique comme un facteur négatif de migrations, l’Objectif 5 du Pacte mondial migrations propose également des mesures permettant de répondre au vide de protection pour les migrants environnementaux telles que la mise en place de visas humanitaires. Le Secours Catholique-Caritas France appelle donc les Etats à s’engager dans des discussions nationales, régionales et internationales en faveur du développement de voies sûres et légales de migration, effectives et accessibles pour les migrants environnementaux et de leur intégration dans les mécanismes de protection existants. Ces discussions devraient inclure des réflexions sur l’applicabilité des visas humanitaires, les statuts de protection temporaire ou permanente et le principe de non-refoulement pour les migrants environnementaux. De plus, la protection des migrants environnementaux doit aussi se construire au travers de la lutte contre les causes des déplacements forcés, dont font partie les effets du changement climatique. Dans ce cadre, le manque de volonté de certains Etats est particulièrement visible et les retards importants dans la réalisation des objectifs de l’Accord de Paris de 2015 sont inquiétants.
Alors que des solutions existent dans le Pacte mondial migrations, le Secours Catholique s’inquiète des politiques allant à l’encontre des droits des personnes migrantes et du manque de volonté politique de certains Etats pour mettre véritablement en œuvre le Pacte.
Par conséquent, la Revue régionale européenne et les autres revues régionales doivent être des moments clés durant lesquels les Etats, d’une part, intègrent ces écarts entre la réalité des pratiques et leurs engagements, et, d’autre part, s’engagent à améliorer les politiques. La première Revue mondiale aura lieu en 2022 et il serait inacceptable que des progrès substantiels n’aient pas été faits dans la mise en œuvre du Pacte pour la protection de toutes les personnes migrantes.
Pour plus d’information, vous pouvez contacter Laura Morel, Chargée de plaidoyer international migrations laura.morel@secours-catholique.org
Crédit photo : Sébastien Le Clézio / Secours Catholique