1 août 2019

GIEC : un rapport à forts enjeux humains

Le Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC) se réunit du 2 au 8 août pour adopter un nouveau rapport spécial portant sur les interactions des dérèglements climatiques avec les terres. Ce rapport se penche sur la sécurité alimentaire, l’usage des terres, la désertification, les forêts, et les solutions envisagées.

Le secteur des terres et l’objectif des 1.5°C

Après le rapport spécial d’octobre 2018 sur l’objectif de ne pas dépasser les +1,5°C de réchauffement global, nous savons que les terres jouent un rôle crucial. Le graphique ci-dessous présente les 4 grandes familles de scénarios nous permettant de rester sous +1.5°C.

Source : IPCC, 2018: Summary for Policymakers

Le scénario P1, le plus soutenable, implique une réduction très rapide des émissions de gaz à effet de serre (GES) pour atteindre « zéro émissions nette » à la moitié du siècle. Les bandes qui correspondent au secteur AFOLU (Agriculture, Forestry and Other Land Use en anglais – Agriculture, forêts et autre usage des terres) montrent que ce secteur, aujourd’hui émetteur net de GES, doit devenir un puit de carbone permettant des émissions dites « négatives » – des absorptions.

Les autres scénarios (P2, P3, P4) impliquent un dépassement temporaire des +1.5°C de réchauffement global (un « overshoot) pour revenir ensuite en dessous en comptant largement sur les BECCS (bioénergie avec capture et stockage du carbone), représentés en jaune.

Avec ce concept de « zéro émissions nettes », le secteur des terres est particulièrement sollicité dans les scénarios et politiques climatiques, et c’est pourquoi il était si important que le GIEC se penche dessus.

 

Les fausses solutions : technologies de séquestration

Les BECCS sont une technologie qui consiste à faire pousser de la biomasse qui, le temps de sa croissance, séquestre du carbone, avant de la brûler dans des centrales pour produire de l’énergie. Plutôt que de laisser le C02 issu de cette combustion s’échapper dans l’atmosphère, l’idée est de le capturer pour le stocker dans la terre, dans des failles géologiques par exemple. Cette technologie pose plusieurs questions :

  • Tout d’abord, elle est associée à un overshoot – un dépassement, et l’on ne sait pas quels phénomènes d’emballement climatiques peuvent survenir si l’on dépasse les 1.5°C (les dits « points de bascule »), ce qui peut déclencher d’autres réactions qu’on ne sait pas prévoir aujourd’hui.
  • Les BECCS ne sont à l’heure actuelle ni rentables ni réalisables à l’échelle, compter sur cette technologie, c’est donc retarder la réduction des émissions en se basant sur une technologie que l’on ne maîtrise pas.
  • La surface requise pour compenser les émissions en se basant sur les BECCS risque d’entraîner une importante compétition pour l’accès à la terre et les conséquences socio-environnementales pourraient être désastreuses. Entre 500 millions et 3 milliards d’hectares seraient nécessaires pour cultiver la biomasse nécessaire à maintenir la température en deçà de +2°C[2], alors que la surface cultivée s’étend aujourd’hui sur 1,5 milliard d’hectares, toutes cultures confondues[3].

Au vue des risques présentés par une action retardée et les menaces que font peser ces technologies sur le droit à la terre des populations, notamment paysannes et autochtones, et la sécurité alimentaire, il est indispensable de réduire les émissions à la source.

Crédit: Brighter Green

Le poids des systèmes alimentaires

L’agriculture industrielle se trouve face à ses propres limites : émissions de gaz à effet de serre, épuisement des sols lié à l’utilisation massive d’intrants, pollution de l’eau, conséquences graves sur la santé des populations[4]. Le secteur agricole émet un quart des émissions au niveau global[5] ; si l’on prend en compte l’ensemble des systèmes alimentaires, cela va jusqu’à représenter un tiers des émissions[6]. La particularité de ce secteur est qu’il émet essentiellement du méthane et du protoxyde d’azote, des gaz qui ont un pouvoir de réchauffement respectivement 25 et 298 fois plus puissant que le dioxyde de carbone lissé sur une période de 100 ans[7] ; c’est plus à court terme[8]. Or la contribution des différents modèles agricoles aux dérèglements climatiques est encore insuffisamment prise en compte dans les politiques publiques climatiques.

Par ailleurs, la réflexion sur le poids des systèmes alimentaires globalisés sur le climat ne peut être dissociée d’un questionnement sur les habitudes alimentaires et la consommation. Dans une perspective de transition des systèmes alimentaires, nos habitudes alimentaires doivent être analysées. L’industrie de la viande et des produits laitiers a notamment une empreinte climatique extrêmement importante : une étude montre que les 20 premières entreprises de viande et produits laitiers produisent plus de GES qu’un pays comme l’Allemagne[9]. Dans un scénario de réduction des émissions permettant de rester sous l’objectif des 1.5°C et en maintenant le rythme de production de viande et de produits laitiers au rythme actuel, cette production représenterait 81% des émissions totales de GES dès 2050. Les objectifs de l’accord de Paris impliquent donc d’interroger sérieusement les modèles actuels de production et de consommation de viande, notamment dans les pays du Nord[10].

Enfin la question de l’organisation globale de la chaine alimentaire, du producteur au consommateur doit être analysée. En effet, on estime qu’un tiers de la nourriture est gaspillée au niveau mondial selon la FAO[11]. Ces productions coûtent en eau, en fertilisants, en émissions de GES, en emballages, et pèsent lourd dans la balance écologique et économique. Ce gaspillage massif pose également des questions éthiques lourdes à l’heure où 821 millions de personnes ne mangent toujours pas à leur faim[12].

 

Les solutions fondées sur la nature

Réduire nos émissions et transformer nos systèmes alimentaires afin qu’ils puissent nourrir l’humanité et devenir plus résilients aux chocs climatiques implique de se tourner vers les solutions fondées sur la nature. Le secteur des terres a le potentiel de devenir un puit de carbone, et il doit le devenir, mais pas n’importe comment. C’est possible en protégeant les forêts primaires, en restaurant les écosystèmes, et en réduisant les émissions de l’agriculture, notamment du méthane et du protoxyde d’azote.

Avec l’alliance CLARA (Climate, Land, Ambition and Rights Alliance) nous appelons les Etats à s’orienter vers des solutions fondées sur la reconnaissance des droits fonciers, notamment des peoples autochtones, la restauration des écosystèmes et une transition des systèmes alimentaires vers l’agroécologie. Dans un rapport documenté, nous démontrons que ces mesures constituent une réponse d’atténuation, puisqu’une forêt primaire est un écosystème très riche qui contient plus de carbone que n’importe quelle autre solution d’afforestation par exemple. La biodiversité que permet la protection des forêts primaires et les systèmes agroécologiques améliore aussi la qualité des sols, la rétention d’eau, la capacité à faire face aux sécheresses, et donc la résilience face aux chocs climatiques qui se multiplient. C’est une solution qui permet de lutter contre les trois crises auxquelles nous faisons face aujourd’hui : la crise climatique bien sûr, l’effondrement de la biodiversité mondiale, et la crise des droits humains. L’ONG Global Witness le rappelle cette semaine : 164 défenseurs des terres et de l’environnement sont morts assassinés en 2018. Ces trois crises doivent être traitées de front.

 

Le Secours catholique – Caritas France sera présent à Genève pour l’adoption du rapport et est disponible pour en décrypter les enjeux.

Contact : Sara Lickel, chargée de plaidoyer droit à l’alimentation et climat, +33 6 71 00 69 76

 

 

[2] GIEC, AR5, 2013, p 446 www.ipcc.ch/pdf/assessment-report/ar5/wg3/ipcc_wg3_ar5_chapter6.pdf p 446 ; GIEC, AR5, 2013, p 12 www.ipcc.ch/pdf/assessment-report/ar5/wg3/ipcc_wg3_ar5_summary-for-policymakers.pdf

[3] FAO, “Fast facts: The State of the World’s Land and Water Resources” www.fao.org/fileadmin/user_upload/newsroom/docs/en-solaw-facts_1.pdf

[4] Cecilia Rocha, Unravelling the Food-Health Nexus, IPES-Food, 2017

[5] Pete Smith, Patricia Bustamante et al., “Agriculture, Forestry and Other Land Use (AFOLU)”, in Climate Change 2014: Mitigation of Climate Change. Contribution of Working Group III to the Fifth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change, Cambridge University Press, 2014

[6] Emile Frison, De l’uniformité à la diversité, IPES-Food, Juin 2016

[7] Piers Forster, Venkatachalam Ramaswamy et al., “Changes in Atmospheric Constituents and in Radiative Forcing” in Climate Change 2007: The Physical Science Basis. Contribution of Working Group I to the Fourth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change, Cambridge University Press, 2007

[8] Le méthane a en effet une durée de vie inférieure à 100 ans, puisque plus de la moitié de ce gaz disparaît en 12 ans. Or les scénarios du GIEC sont construits sur des périodes de 100 ans, ce qui fait que le méthane et le protoxyde d’azote y ont été largement sous-estimés.

[9] Fondation Heinrich Böll, Institute for Agriculture and Trade Policy Europe et GRAIN, Fiche « L’empreinte démesurée des grandes entreprises du secteur de la viande et des produits laitiers », novembre 2017 https://www.iatp.org/documents/lempreinte-climatique-demesuree

[10] A ce sujet, voir Habiter autrement la Création, publié par le Secours catholique – Caritas France, CCFD-Terre Solidaire, Fédération Protestante de France, Conférence des Evêques de France, et al., Juillet 2015

[11] http://www.fao.org/resources/infographics/infographics-details/en/c/317265/

[12] L’Etat de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde, FAO, 2019

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