11 novembre 2017

COP 23 – Quel modèle agricole face aux changements climatiques?

La menace posée par les changements climatiques sur la production alimentaire est une des raisons à l’origine de la création de la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) en 1992. Avec l’adoption de l’accord de Paris en 2015, un pas supplémentaire a été franchi  en intégrant dès le préambule du texte la sécurité alimentaire comme l’un des principes de l’accord. Dans un monde où l’on produit suffisamment de nourriture pour nourrir 12 milliards d’êtres humains, 815 millions souffrent encore de la faim en 2017 et ce chiffre vient d’augmenter pour la première fois depuis 10 ans. En cause ? les changements climatiques.[1]

Si l’agriculture est présente dans 94% des Contributions Nationales Déterminées (CDN) des Etat dans les stratégies d’adaptation ou d’atténuation, ce sujet est pourtant au point mort dans les négociations et décisions de COP ces dernières années.

L’agriculture et la sécurité alimentaire à la CCNUCC soulèvent deux enjeux : le premier est celui de l’atténuation des changements climatiques. L’agriculture représente un quart des émissions mondiales de GES, un tiers si l’on prend en compte l’ensemble des systèmes alimentaires, du champ à l’assiette. Mais les pays en développement mettent la priorité sur l’adaptation, s’estimant peu responsables des émissions déjà émises. C’est vrai pour certains Etats, moins pour de grandes puissances agricoles. En 2012, 10 Etats parties à la CCNUCC étaient responsables de 61% des émissions de GES du secteur agricole : Chine, Inde, Brésil, Union Européenne, Etats Unis, Australie, Indonésie, Pakistan, Argentine[2] (sans compter le secteur des terres et forêts – LULUCF).

Le second enjeu est celui de l’adaptation d’un secteur fortement impacté par les changements climatiques, notamment dans les pays vulnérables. Les Etats développés ne remplissent pas l’objectif inscrit dans l’accord de Paris d’un équilibre entre adaptation et atténuation pour les financements climat. Or les petits agriculteurs représentent 98% des producteurs, et produisent 70% de la nourriture mondiale. L’adaptation de ce secteur est donc cruciale pour assurer la sécurité alimentaire face aux changements climatiques.

Par ailleurs, les négociations n’aboutissant pas depuis plusieurs années, ce sont les espaces parallèles qui sont investis par des initiatives multi-acteurs qui manquent de cadrage, telle que la Climate Smart Agriculture (agriculture intelligente face au climat), concept flou et englobant tous types de pratiques dont les OGM ou l’usage de produits phytosanitaires. Derrière ce slogan, de nombreuses entreprises agroindustrielles en profitent pour verdir leurs pratiques et empêchent le questionnement politique du modèle agricole que nous souhaitons.

Les blocages ne sont pas ceux d’un modèle des pays du Nord contre un modèle des pays du Sud, mais résultent du refus de poser la question politique du choix du modèle agricole permettant à la fois de réduire l’impact sur les émissions de GES, d’adapter les agricultures familiales, et de garantir la sécurité alimentaire de tous. Ce choix implique de renoncer à d’autres modèles gourmands en énergie et en produits phytosanitaires. Ce sont bien des enjeux économiques qui empêchent aujourd’hui d’aborder politiquement le sujet des systèmes alimentaires nécessaires à une économie décarbonée et préservant les droits humains.

Depuis trois ans, la société civile demande la création d’un programme de travail sur l’agriculture et la sécurité alimentaire qui permettrait d’aborder de façon équitable et selon le principe de la responsabilité commune et différenciée la question des émissions de GES liées aux modèles agricoles. La question de l’adaptation pourrait y être discutée de façon à répondre aux 4 piliers de la sécurité alimentaire : l’accès à la nourriture, la disponibilité de celle-ci, sa qualité et la régularité de l’approvisionnement. Le pilier primordial étant l’accès, afin de garantir le droit à l’alimentation de tous.

Pour répondre aux enjeux posés par les changements climatiques, tant en termes de réduction des émissions de GES que d’adaptation, il faut se tourner vers l’agriculture familiale et l’agroécologie. Il est urgent de soutenir les petits producteurs afin de développer leur résilience face aux chocs climatiques extrêmes par des semences adaptées aux conditions locales et des pratiques permettant d’améliorer la rétention d’eau et la fertilité des sols. Par ailleurs, l’agroécologie paysanne a des co-bénéfices sociaux (emplois dignes et non délocalisables), économiques (développement local et accès au marché), et environnementaux (réduction de la pollution de l’eau, biodiversité, etc) qui permettent un développement durable et d’avancer vers l’éradication de la pauvreté, première cause de l’insécurité alimentaire.

Sara Lickel

 

[1] Le rapport 2017 sur l’état de la sécurité alimentaire dans le monde publié en septembre 2017 a annoncé cette préoccupante augmentation et l’a lié aux changements climatiques et à la multiplication des conflits (eux-mêmes de plus de plus liés à la raréfaction des ressources naturelles). Ce rapport ne prend pas en compte les famines de 2017 dans la Corne de l’Afrique notamment.  http://www.fao.org/state-of-food-security-nutrition/en/

[2] World Resources Institute, CAIT climate data explorer

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