6 octobre 2015

Migrants environnementaux, déracinés

Au Bangladesh, les conséquences du dérèglement climatique poussent déjà des milliers de personnes à quitter leur terre d’origine.

Les étals du Bikrampur Garden City croulent sous d’innombrables rouleaux de tissus bigarrés. Au rez-de-chaussée de ce centre commercial situé au sud de Dhaka, la capitale du Bangladesh, les clients se laissent emporter par un tourbillon de couleurs, tandis que dans la rue la foule se presse au rythme des sonnettes des rickshaws*. Quelques étages plus haut, Salam Hossan, 24 ans, enfile calmement sa tenue de travail. Il est 18 heures. Le jeune homme s’apprête à assurer un service de vigile de douze heures.

Le sixième étage, où il vit, n’est pas encore achevé, comme les niveaux supérieurs. Les briques et le ciment des murs attendent d’être enduits. Le sol est encore un amas de sable et de cailloux, et les fenêtres ne sont toujours pas posées. À cet étage, pas d’eau ni d’électricité. Les employés du centre commercial dorment à même le sol ou s’improvisent des lits de fortune. Salam, lui, occupe une minuscule pièce avec trois autres collègues vigiles.

Cette vie n’est pas celle qu’il avait espérée. Si les aléas climatiques ne s’étaient pas acharnés sur sa famille, Salam serait aux côtés de sa femme et de sa fille âgée de sept mois à Mongla, dans le sud du pays. 

Cyclones destructeurs

Salam était étudiant. Son père, Abdul, était métayer rizicole. Mais une salinisation galopante rend les sols incultivables dans le sud du pays. Favorisée par la hausse du niveau de la mer, l’introduction d’eaux salées dans les terres par des cyclones de plus en plus fréquents et un investissement effréné dans l’élevage de crevettes, la salinisation gagne en effet du terrain, laissant derrière elle une production agricole affaiblie et des villageois désœuvrés, dont le père de Salam. 

« Je suis devenu docker, mais l’ensablement du port industriel de Mongla a mis un terme à la venue des porte-conteneurs. Nous avions également emprunté pour avoir notre propre élevage de crevettes, mais les cyclones Sidr en 2007 puis Aïla en 2009 l’ont totalement anéanti », déplore Abdul, qui vit toujours à Mongla.

Salam et son frère, Kalam, ont donc été contraints d’arrêter leurs études pour aller gagner leur vie à Dhaka. À eux deux, ils parviennent à envoyer près de 60 euros par mois à leur famille. « Je ne suis jamais retourné chez moi depuis mon arrivée à Dhaka, en 2011. Si je quitte mon poste un jour, je le perds », raconte Salam.Le jeune homme n’a vu sa fille que deux fois depuis sa naissance, grâce à la visite qu’a faite sa femme à deux reprises à Dhaka.

« Au Bangladesh, il n’est désormais plus rare de voir des familles dispersées à travers le pays. Les conséquences du changement climatique poussent certains de leurs membres à migrer définitivement ou de façon saisonnière dans les villes pour travailler dans le bâtiment, les fabriques de briques ou les manufactures de vêtements. Certains partent dans les pays limitrophes », explique Mohammad Alamgir, chargé de projet Conservation et développement écologiques (ECD) à Caritas Bangladesh. 

Francis Atul Sarker, directeur adjoint de Caritas Bangladesh, explique comment l’association prévient cette migration.

« Caritas Bangladesh mène auprès des communautés des projets d’adaptation aux changements climatiques, de prévention des risques de catastrophes et de gestion des ressources naturelles. Notre but est de trouver avec la population des moyens de survivre dans les villages vulnérables aux changements climatiques. Nous informons les populations des conséquences du dérèglement climatique et les formons sur les moyens d’y faire face. Caritas vient également en aide aux personnes déplacées en les aidant à trouver des moyens de subsistance là où elles ont migré. »

Résistance

Sur l’île de Gabura, voisine de la prestigieuse mangrove des Sundarbans dans le sud du pays, la migration est devenue une habitude, bouleversant ainsi les rythmes familiaux et sociaux. « Après le passage d’Aïla, des dizaines de villageois sont partis travailler à l’étranger ou dans les grandes villes du Bangladesh, et environ 75 % des habitants de Gabura sont devenus des migrants saisonniers », déclare G.M. Abdul Rahim, membre d’une municipalité de l’île.

Les villageois de Lebubuna ont quant à eux choisi de rester. Ils se battent contre la mer qui attaque sans relâche la frêle digue sur laquelle ils vivent. « Ma maison a été détruite par Aïla. Je l’ai reconstruite sur la digue mais celle-ci a cédé. Nous avons construit une nouvelle digue sur laquelle nous avons installé nos maisons », raconte Abdul Hannan Gazi, sur le pas de sa porte. D’un côté, la mer dont les vagues se jettent rageusement contre la digue en terre, de l’autre des élevages de crevettes à perte de vue. Accessible uniquement à marée basse, la pompe à eau se dresse vaillamment dans les flots, dernier témoin de l’endroit où se situait le village avant que la mer n’ait raison de lui.

La mer détruit. Les hommes, infatigables, reconstruisent. La mer ne parvient pas à chasser ces familles, qui vivent de la récolte de miel, de bois ou autres produits que leur offrent les Sundarbans. « Nous ne voulons pas partir ! s’exclame Abdul Hannan Gazi. Nous préférons affronter les tigres et les pirates qui hantent la mangrove plutôt que de quitter notre terre mère. » Pour combien de temps encore ?

Propos recueillis par Clémence Véran-Richard pour la revue Messages.

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