Mise en œuvre de l’Accord de Paris : un cadre de transparence pour le secteur des terres

Les terres au cœur de multiples enjeux dans les négociations internationales sur le climat
La Déclaration de Casablanca a été adoptée à l’issue de la rencontre internationale sur la COP22 des 23 et 24 septembre 2016. Nous y lisons que les mobilisations se poursuivent pour « défendre l’agriculture paysanne et la souveraineté alimentaire, et lutter contre les fausses solutions qui dépossèdent les paysannes et les paysans de leurs terres ». Il y a plus d’un an déjà, nous avions alerté sur l’importance de l’usage des terres (« land use », en anglais [1]), essentiel dans l’amélioration de la sécurité alimentaire comme dans la lutte contre les changements climatiques. Qu’il s’agisse d’alimentation, d’adaptation face aux changements climatiques ou d’atténuation des émissions de GES [2], cette question n’a rien perdu de son actualité ! Le CIFOR (Center for International Forestry Research), centre de recherche de renommée internationale, vient de publier une note d’analyse consacrée à l’amélioration de la transparence dans le secteur des terres (« land sector »), plus particulièrement pour les acteurs du secteur privé [3]. Cet article en restitue les points clés.
Avant cela, remarquons que cette question s’inscrit dans la nécessité de préciser le cadre et les règles d’application de l’Accord de Paris comme l’a souligné la note de position des ONG françaises pour la COP22. Il s’agit notamment de définir un cadre de transparence clair, pour tous (cf. en particulier p.14, dont les citations suivantes sont extraites). En effet, « l’une des principales nouveautés de l’Accord (…) est qu’il instaure le principe d’un cadre commun de transparence, pour tous les pays. Il s’applique tant aux actions de réduction des émissions de gaz à effet de serre, qu’aux actions d’adaptation et aux financements. » Ce cadre, assorti d’une certaine flexibilité, qui tient compte des capacités différentes des Parties (Article 13.1 de l’Accord de Paris) est extrêmement important, sur différents plans. D’abord, il permettra d’évaluer l’action des États, individuellement et collectivement, « et de pousser à des améliorations régulières. Il peut être un outil puissant pour la société civile, afin d’obliger les gouvernements à rendre des comptes à leurs citoyens. » Ensuite, il favorisera la confiance entre les États et sera crucial « pour assurer la crédibilité des contributions nationales, la réussite des bilans mondiaux réalisés tous les 5 ans. » Enfin, il alimentera le « Comité de mise en œuvre et de respect des dispositions de l’Accord de Paris » (comité encore à définir).
Une indispensable transparence à établir dans le secteur des terres : les principaux éléments de l’analyse du CIFOR
Mais revenons au secteur des terres. On peut regrouper les principaux messages du papier d’analyse du CIFOR en quatre points clés [4].
- Des acteurs non-étatiques à différencier
L’Article 13 de l’Accord de Paris vise à renforcer la transparence des actions climatiques. En parallèle, les Décisions de la Conférence des Parties n’ont jamais autant insisté sur l’importance des acteurs non-étatiques, ou plus largement des « entités non parties », en la matière. Cette catégorie est trop large et trop vague : des mondes séparent les acteurs réunis au Business & Climate Summit de Londres en 2016 (Guildhall, 28-29 juin), des paysanneries du Sud et des peuples autochtones (sans même parler des autres catégories d’acteurs comme les instituts de recherche).
Le secteur privé est lui-même extrêmement divers. Des TPE agricoles familiales, accompagnées par Agrisud par exemple, aux groupes comme Nestlé ou Kraft, les rapports de pouvoir, motivations, priorités et capacités au sein des systèmes alimentaires varient du tout au tout. Il faut donc faire un réel effort de distinction et de discrimination entre les différents acteurs. Un travail d’autant plus nécessaire que leur rôle sera clé dans l’atteinte des objectifs fixés par l’Accord de Paris [5].
- Une absence de suivi des engagements volontaires des acteurs non-étatiques
Dans son relevé de Décision de décembre 2015, la Conférence des Parties « invite les entités non parties (…) à amplifier leurs efforts et à appuyer des mesures destinées à réduire les émissions et/ou renforcer la résilience et diminuer la vulnérabilité aux effets néfastes des changements climatiques, et à faire état de ces efforts par le biais du portail des acteurs non étatiques pour l’action climatique » (§135). Début novembre 2016, la 1re page du site Internet de ce portail, connu sous le nom de NAZCA, affichait 11 615 engagements (« commitments »), dont 2090 d’entreprises privées et 448 d’investisseurs. Beaucoup de ces engagements concernent l’agriculture, la forêt et le secteur des terres. Dès lors, comment séparer le bon grain de l’ivraie dans toutes ces initiatives ? Qui en assurera le suivi ? Comment même accéder aux données requises ? Il n’existe aujourd’hui aucun suivi systématique et transparent des engagements volontaires.
Beaucoup d’efforts sur les données, au sens large, restent donc à fournir. La transparence des actions climatiques n’a aucun sens sans des méthodes, des métriques et des bases de données fiables et relativement harmonisées – un problème qui va bien au-delà du secteur des terres. Le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) insiste sur le fait que, malgré quelques progrès, les impacts des actions climatiques des acteurs non-étatiques et leurs liens aux contributions nationales (CDN, ou NDC selon l’acronyme anglais) sont très mal connus [6].
- Les acteurs les plus vulnérables menacés
Avant l’ouverture de la COP22 (7-18 novembre, Marrakech), Caritas Internationalis a rappelé que les plus vulnérables sont souvent les moins pris en compte dans les négociations internationales sur le climat (Expediting the Implementation of UN Climate Agreements. A Renewed Focus on the Most Vulnerable). De fait, l’un des risques majeurs dans le secteur des terres est que l’action climatique de grandes entreprises nuise sur le terrain aux acteurs modestes (« smallholders »), des paysannes et des paysans pour l’essentiel, déjà fragilisés par les dynamiques commerciales internationales et les changements climatiques… Or, en dehors des « sauvegardes de Cancun » [7], ces risques restent ignorés par la CCNUCC. Pourtant, des solutions existent : intégrer les Droits de l’Homme dans la lutte contre les changements climatiques, établir la participation des populations locales et le respect de l’intégrité des écosystèmes – trois aspects explicitement mentionnés dans l’Accord de Paris – limiteraient ces risques.
- Les soutiens financiers doivent cibler ceux qui en ont le plus besoin
Comme le dit bien le récent rapport d’Oxfam sur les financements climat internationaux, « pour les pays en développement, le besoin de financements pour l’adaptation au changement climatique est particulièrement aigu dans le domaine de l’agriculture » (p.2). Et tout l’enjeu est de garantir que les plus pauvres et les plus vulnérables aient accès à ces financements. Au sujet du secteur des terres, les auteurs de Enhancing transparency in the land sector under the Paris Agreement considèrent que « les fonds publics, comme le Fonds Verts pour le Climat, pourraient être utilisés pour soutenir les petits producteurs ainsi que les petites et moyennes entreprises, et améliorer leurs systèmes de production par l’adoption de pratiques plus adaptées et par un accès facilité à des chaînes de valeur durables » [8].
Pour un suivi réel des engagements et actions climatiques des acteurs non étatiques !
Au vu de ces différents éléments, il est plus que justifié de demander à la CCNUCC de développer des directives (« guidance ») relatives aux engagements et actions climatiques des acteurs non étatiques – ce que font les auteurs de l’analyse du CIFOR. Cela permettrait notamment une approche plus fine de ces acteurs, un meilleur suivi de leurs activités et une meilleure compréhension de leur participation aux contributions nationales, dont près de 80% mentionnent le secteur des terres et plus de 90% l’agriculture [9].
Jean Vettraino
Notes
[1] L’anglais reste l’unique langue de négociations de la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC). Cf. Peggy Pascal et al., « COP20 à Lima: Parle anglais ou tais toi ! », 9 décembre 2014.
[2] Le secteur des terres représenterait 20 à 60% du potentiel global d’atténuation à l’horizon 2030. Cf. le 5e Rapport d’évaluation du GIEC (2014), WG3, chap.11, p. 816.
[3] Sophia Gnych, Stephen Leonard, Pablo Pacheco, Steven Lawry and Christopher Martius, Enhancing transparency in the land sector under the Paris Agreement. Non-state actors and corporate pledges, from rhetoric to reality, Info Brief, n°157, November 2016.
[4] Si, par inadvertance, des erreurs d’interprétation ou de reformulation du propos des auteurs se glissaient dans cet article, elles ne pourraient évidemment nullement leur être attribuées.
[5] Cf. notamment United Nations Environment Programme (UNEP), The Emissions Gap Report 2016. A UNEP Synthesis Report, Novembre 2016, chapitre 4 : « Bridging the gap – the role of non-state action », pp. 23-30.
[6] United Nations Environment Programme (UNEP), The Emissions Gap Report 2016. A UNEP Synthesis Report, Novembre 2016, p.xx : « A growing number of studies are available, estimating the potential contribution from actions by non-state actors to global efforts of reducing greenhouse gas emissions. (…) The data still has significant gaps concerning actual impacts, overlaps and relation with Intended Nationally Determined Contributions ».
[7] Cf. Décision 1/CP.16, Appendice 1, §2. En exécutant certaines activités (REDD+), il faudrait promouvoir les sauvegardes suivantes : a) Nécessité de veiller à ce que les activités viennent en complément des objectifs des programmes forestiers nationaux et des conventions et accords internationaux pertinents (…) ; b) Structures nationales transparentes et efficaces de gouvernance forestière (…) ; c) Respect des connaissances et des droits des peuples autochtones et des membres des communautés locales (…) ; d) Participation intégrale et effective des parties prenantes concernées, en particulier des peuples autochtones et des communautés locales (…) ; e) Mesures qui soient compatibles avec la préservation des forêts naturelles et de la diversité biologique (…) ; f) Mesures visant à prendre en compte les risques d’inversion ; g) Mesures visant à réduire les déplacements d’émissions.
[8] Sophia Gnych, Stephen Leonard, Pablo Pacheco, Steven Lawry and Christopher Martius, Enhancing transparency in the land sector under the Paris Agreement. Non-state actors and corporate pledges, from rhetoric to reality, Info Brief, n°157, November 2016, p.1 : « Public funds, such as the Green Climate Fund (GCF), could be used to financially support smallholders and small and medium enterprises (SMEs), and upgrade their production systems through the adoption of improved practices and by facilitating their access to sustainable supply chains. »
[9] FAO, The agriculture sectors in the intended nationally determined contributions, 2016.