Le climat, notre bien commun, interview d’Emilie Johann

La très attendue encyclique du pape François, Laudato Si’ est parue le 18 juin sur le thème de la sauvegarde de notre maison commune. Nous l’avons parcourue avec Emilie Johann, Responsable du plaidoyer international au sein du Secours Catholique – Caritas France.
Quels sont les points forts de cette encyclique selon vous ?
Cette encyclique est dédiée entre autre à la question du climat et à l’écologie en général mais comprise de façon globale. C’est une affirmation simple de la réalité du changement climatique, ses impacts et du lien avec les activités humaines et notamment avec la combustion des énergies fossiles. C’est peut-être un rappel pour certains mais c’est un moment fondateur pour l’église de prendre une position forte sur ce sujet.
Le pape ne prend pas une approche simplement climatique mais il nous rappelle que la crise climatique est une conséquence, un symptôme d’une crise plus globale qui est à la fois politique, économique, démocratique…. Aujourd’hui nous avons des modèles économiques, politiques et financiers structurellement injustes c’est à dire qui concentrent les richesses et le pouvoir dans les mains d’un petit nombre qui travaille à son intérêt privé au détriment du bien commun.
Le concept d’écologie intégrale envisage l’homme dans son environnement et dans toutes ses relations qu’elles soient culturelles, sociales ou économiques. L’encyclique nous rappelle que avons un vrai problème de système , basé sur l’idée technocratique que l’on peut avoir une croissance infinie et une exploitation infinie des ressources, alors qu’elles sont limitées.
Les ressources et le climat sont qualifiés de bien commun à destination universelle donc ils doivent aller à tous. Cela implique de repenser nos modèles économiques et politiques dans leur intégralité. Le Pape nous rappelle qu’il ne s’agit pas de verdir à la marge nos modèles mais vraiment de s’interroger sur les principes mêmes de notre société et de notre économie qui est encore aujourd’hui basée sur une croissance sans développement et dans une réalité de consumérisme exacerbé.
Le pape parle d’une « culture du déchet ». Nous sommes dans une culture de l’abondance, de la croissance mais qui ne se traduit pas par un développement de l’individu. Au contraire, nous assistons à une augmentation de l’exclusion sociale, de la violence et à une perte du lien social.
La crise climatique que nous traversons n’est donc ni une crise environnementale, ni une crise sociale mais bien « une crise socio-environnementale complexe ».
Sur la question politique, le pape décrit la faiblesse de la réaction politique internationale, les accords internationaux ne sont pas suffisants, car les pays mettent leurs intérêts au dessus du bien commun. Il rappelle qu’il nous faut aujourd’hui accepter que certaines parties du monde doivent entrer en décroissance pour permettre à d’autres d’entrer en croissance.
A qui s’adresse cette encyclique ?
Cette encyclique s’adresse à tous, citoyens, politiques, négociateurs, croyants et non croyants. Le premier chapitre s’appelle « Notre maison commune », et s’adresse à tous les habitants de la planète. C’est un véritable appel au dialogue, citoyen, inter -religieux mais également politique. A cette sphère politique, le pape rappelle l’importance de la solidarité mais aussi la nécessité de mettre en place des cadres internationaux légalement contraignants et de parvenir à un accord politique global.
Il parle également de « conversion écologique », un appel à changer les modes de production et de consommation et à vivre autrement. Chaque citoyen a donc le pouvoir de changer les choses à son échelle.
Qu’est-ce que vous apporte cette encyclique dans votre travail quotidien ?
Il y a beaucoup de choses sur lesquelles on travaille déjà mais nous gardons l’importance de la dimension d‘équité nord / sud, c’est-à-dire que toutes les politiques doivent se faire sur la base de la solidarité et des impacts sur les plus pauvres.
Il y a également le volet de la réforme structurelle de nos systèmes.
Le climat aujourd’hui, c’est une question de mauvaise répartition dans l’utilisation de nos ressources, donc il s’agit de l’envisager de façon systémique tout comme le problème de la faim, qui n’est pas une question de production mais une question d’accès et de distribution, donc de justice.
Il y a aussi pour notre réseau un appel à vivre un peu plus simplement, appel à changer nos modes de production et de consommation.
Un certain nombre de thèmes développés dans l’encyclique font écho à notre travail de plaidoyer, la sortie des énergies fossiles, le soutien à l’agroécologie, aux modèles de proximité et à l’innovation locale, le soutien des pays riches aux pays plus pauvres sur l’adaptation, la transition énergétique et plus généralement le travail avec les plus précaires.
Il y a donc des points très techniques et aussi des messages forts. Le pape expose clairement que ces questions sont des interrogations démocratiques, des questions de structure de pouvoir qui doivent être réformées.
Quels impacts peut-on envisager sur les différents publics et sur les négociations ?
Nous savons que cette encyclique est très attendue dans un grand nombre de pays dont les positions sur la question climatique ne font pas consensus, comme les États-Unis ou la Pologne par exemple.
Ce texte va nous aider à avoir une vision plus globale sur les négociations. Le pape interpelle négociateurs et politiques sur ce qu’il nomme « la myopie de la logique du pouvoir », c’est-à-dire une vision politique à très court terme à visée souvent électoraliste.
On espère que ce texte sera un appel à re-moraliser les débats. On sait aussi que les négociations sont complexes en terme d’intérêts mais nous souhaitons que ce texte, dans ce qu’il décrie de ces conflits d’intérêts, pourra aider à faire bouger les lignes, à provoquer une prise de conscience globale. Aujourd’hui l’approche des négociations en lien avec la COP21 est très technique. On parle de verdir ici ou là, de réduire un petit peu, mais pas de changer structurellement les choses et c’est ce qui est décrié dans le texte. On peut donc espérer un changement dans l’approche même des négociations.
Retrouvez l’intégralité de l’encyclique ici.